

Stéphane Clerget, faut-il parler des élections et plus généralement de politique avec ses enfants ?
En tant que parent, il est important d’expliquer aux enfants la politique. La famille est en effet le premier terrain de discussion politique, c’est généralement là qu’un enfant forge de façon précoce ses principaux repères politiques, voir idéologiques. Et l’élection présidentielle est le moment idéal pour qu’il s’en mêle. Pour eux c’est l’élection la plus facile à appréhender. C’est celle qui les intéresse le plus. Et d’ailleurs, cela les amuse beaucoup lorsqu’il y a des débats politiques à la maison et ça les intéresse de savoir « qui est le chef ».
D’autant plus que les enfants sont initiés au vote assez tôt, depuis les années 1970. Dès le CP, ils élisent des délégués. Ils peuvent donc se sentir concernés à partir de six ans, même s’ils assimilent le président ou la présidente un peu comme un roi, une reine, un super papa ou une super maman. Et comme ils ont une fausse idée sur la question, il est essentiel de leur expliquer la réalité.
Faut-il attendre qu’il nous en parle ?
Le mieux, c’est effectivement que la conversation vienne des enfants. Il est d’ailleurs assez rare qu’ils n’en parlent pas. Mais si ce n’est pas le cas, cela peut être bien d’aborder le sujet et notamment des institutions et des pouvoirs du président étant donné qu’ils vont de toute façon l’apprendre à l’école.
À partir de quel âge est-il recommandé d’engager ces conversations ?
Cela fait partie du programme scolaire, en cours d’instruction civique, dès l’âge de 7 ou 8 ans. Je recommande donc d’en parler dès 7 ans.
De quelle manière faut-il s’y prendre pour leur en parler ?
Le mieux, c’est de rendre la politique concrète. On peut par exemple proposer à son enfant de nous accompagner pour aller voter à l’élection présidentielle, ou à un tout autre moment, on peut aussi proposer à son enfant de venir lorsque l’on se rend à la mairie ou alors à un rendez-vous avec le maire de sa commune.
« L’objectif est de développer l’esprit critique de l’enfant »
Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire ?
Il ne faut pas dire « lui, il est méchant », « lui, il est gentil ». Ni « il faut voter pour untel ». Ce n’est pas du parti pris qu’il faut faire mais plutôt de l’éducation à la politique. Le rôle du parent n’est pas que son enfant vote comme lui. L’objectif est de développer l’esprit critique de l’enfant.
Que conseillez-vous de dire pour développer l’esprit critique de son enfant ?
Il faut essayer d’avoir une position un peu neutre en expliquant ce qui caractérise la droite, la gauche et les différents partis. Utiliser « je crois que », « je vois les choses ainsi », lorsqu’il est difficile de faire preuve de neutralité. Cela fait comprendre à l’enfant qu’il n’existe pas une seule façon de penser.
L’enfant va forcément demander pour qui ses parents votent lorsque la conversation est entamée. Si on décide de le lui dire, là encore il faut utiliser des tournures de phrases comme : « J’ai l’impression que ce candidat va plus défendre ceci ou cela ». On peut aussi lui dire de ne pas le répéter à ses camarades, si on ne le souhaite pas. C’est donc aussi l’occasion d’expliquer que le choix politique est personnel. Et surtout, il faut profiter des conversations sur l’élection présidentielle pour aborder la politique en général.
De quelle manière ?
En expliquant le fonctionnement de la République, le rôle et les pouvoirs du président, des ministres. Et puis, dans un second temps, il est possible de parler des autres instances politiques, d’expliquer le rôle des députés, puis des sénateurs.
On peut même élargir le sujet en détaillant ce qu’est la démocratie, puis les autres types de régimes, comme la monarchie constitutionnelle. On peut aussi parler des pays non démocratiques, et cela peut être l’occasion d’évoquer l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Et quelle posture prendre vis-à-vis des adolescents ?
À l’adolescence, le dialogue sur la politique est également important. L’adolescent peut en effet se servir de la politique pour s’opposer à ses parents. Il est alors intéressant de leur apprendre à débattre, sans critiquer l’opinion de chacun et en apprenant à s’écouter, ce qui n’est pas facile pendant cette tranche d’âge. En tant qu’adulte, il faut alors être capable d’écouter les arguments de son enfant même lorsqu’ils hérissent le poil.
D' AUTRES AVIS ..
• Est-ce utile d'en parler?
Finances, dépenses publiques, énergie... Certains sujets sont-ils trop difficiles à évoquer avec un enfant? La politique, ce n'est pas qu'une affaire de grands, considère Marion Joseph, rédactrice en chef d'Astrapi, un bimensuel qui s'adresse aux enfants de 7 à 11 ans. "Il n'y a pas de sujet trop compliqué en soi."
"L'élection présidentielle, c'est l'opportunité idéale pour les initier à la citoyenneté. Les enfants voient des affiches, entendent les candidats à la télévision, des bribes de discussion des adultes, le jour J on les emmène voter, on passe dans l'isoloir."
Astrapi a d'ailleurs consacré un numéro spécial au mois de mars dédié à l'élection présidentielle et au métier de président. Mais pour parler ces sujets, l'idéal est de rester le plus concret possible, préconise Marion Joseph. Et d'éviter donc les concepts et notions trop abstraites.
"La démocratie, c'est un grand mot mais on peut leur expliquer simplement que nous avons la chance de choisir les personnes qui vont nous représenter et prendre des décisions pour nous", conseille-t-elle.
"Avec les élections législatives qui vont suivre, on peut comprendre qu'un président ne décide pas tout seul, qu'on élit des députés qui votent les lois. Et que ces dernières concernent différents aspects de leur vie quotidienne, de l'école aux hôpitaux."
• Certains sujets sont-ils tabous?
Terrorisme, sécurité, questions internationales - comme avec la guerre en Ukraine... Faut-il sciemment éviter certaines thématiques, trop délicates ou sensibles? Sylvie Baussier, auteure de Les Élections, questions/réponses chez Nathan - un livre qui s'adresse aux enfants dès 7 ans - estime qu'il n'y a pas de sujet tabou. Mais elle recommande de ne pas devancer les interrogations des enfants et d'attendre qu'ils formulent d'abord leurs questions.
"Il ne faut pas avoir peur de leurs demandes, d'autant qu'il y a beaucoup de livres destinés aux enfants qui peuvent servir de support. L'idée, c'est de leur transmettre les bases, une culture, des références historiques."
Et surtout les outils d'une réflexion. Un point de vue que partage Denis Langlois, auteur de La Politique expliquée aux enfants, un classique destiné aux enfants à partir de 11 ans, illustré par Plantu, et réactualisé cette année à l'occasion de la présidentielle. Il estime ainsi que parler de politique revient à évoquer "la façon dont les êtres humains organisent la vie collective sur Terre".
"La société s'est dépolitisée ces dernières années, on le voit avec le peu d'intérêt que suscite l'élection présidentielle", note-t-il. "Mais si l'on ne se préoccupe plus de politique, la démocratie sera aux mains de politiciens professionnels et de technocrates."
"Il ne s'agit pas de faire un cours de militantisme forcé mais ce n'est pas à 18 ans qu'on devient un citoyen", poursuit-il. "À 18 ans, on devient un électeur. Les enfants sont déjà des citoyens en construction."
• Faut-il prendre parti?
Quelle attitude adopter face aux questions parfois déconcertantes des enfants? Notamment sur la différence entre la droite et la gauche, les petites phrases de certains hommes et certaines femmes politiques ou les nuances entre des candidats de partis relativement proches sur l'échiquier politique? Faut-il s'engager?
"Cela peut paraître tabou, soit parce que les parents ont peur que les enfants répètent ce qui se dit à la maison, soit par crainte de les embrigader", pointe Marion Joseph, la rédactrice en chef d'Astrapi.
"La politique peut être très émotionnelle, qu'un projet nous enthousiasme ou qu'on déteste un candidat", estime-t-elle. "Mais on peut expliquer pourquoi on se sent de tel bord tout en ajoutant qu'il y a aussi des gens qui pensent autrement."
Pour Sylvie Baussier, l'idéal est d'exposer les différents points de vue, sans se montrer partisan et en dépassionnant le sujet. "Pour prendre parti, il faut avoir des bases", estime-t-elle. "La politique, ce n'est pas forcément vouloir changer l'opinion de l'autre mais échanger des points de vue, voilà ce qu'on peut leur dire. C'est même le principe d'une démocratie de ne pas être d'accord."
Denis Langlois, l'auteur de La Politique expliquée aux enfants, préconise au contraire une grande franchise, car nos opinions politiques nous échappent et se manifestent forcément devant les enfants. "On ne peut pas s'empêcher d'avoir une réaction en entendant certains propos, à la radio ou à la télévision. D'émettre un commentaire, un haussement de sourcil, une expression. L'enfant comprend très bien quelles sont les opinions de ses parents."
"On peut tout à fait lui dire 'voilà ce que je pense' mais ajouter que d'autres personnes peuvent avoir un point de vue différent et tout à fait respectable. Que l'on peut en discuter, écouter le point de vue de l'autre, débattre et répondre à ses arguments. L'idée, c'est de l'aider à réfléchir et à se forger sa propre opinion."
• Quel vocabulaire employer?
Une seule contrainte pour parler de politique aux enfants: opter pour le vocabulaire qu'ils comprennent, avise Sylvie Baussier, dont l'ouvrage pose et répond à des questions comme "pourquoi certains électeurs s'abstiennent-ils?", "comment fait-on campagne?" ou encore "qu'est-ce qu'une liste électorale?". Pour cela, rien de mieux que de faire appel au quotidien des enfants.
"Le principe d'une élection, les enfants le connaissent aussi à l'école avec le choix de leurs délégués", remarque-t-elle. "Avec cette comparaison, on peut tout à fait aborder les choses simplement sans être simpliste."
"Les enfants peuvent comprendre des notions complexes, comme le fait que les élus ne reflètent pas toute la population ou que les élections ne sont pas toujours justes, notamment dans les fausses démocraties", poursuit l'auteure. À condition de bien définir les termes. "Quand on parle entre adultes, on a les codes, ce n'est pas le cas avec un enfant", insiste Denis Langlois, qui prend l'exemple du mot "citoyenneté".
"C'est un terme abstrait pour les enfants", explique-t-elle. "Aborder la politique avec eux pousse à définir les termes. Il ne faut ainsi pas hésiter à être le plus précis possible et à répondre à toutes les questions, souvent en cascade. Expliquer, définir, ce n'est pas simplifier ni bêtifier, c'est pousser la réflexion et s'élever." Et dans tous les cas, conclut-il, discuter de politique avec des enfants peut se révéler tout aussi bénéfique pour les petits que pour les grands.
Quelques livres pour en parler ...